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samedi 2 janvier 2010

Interview de RFI à Philippe Hugon directeur de recherche à l’IRIS


Radio France Internationale, qui consacre tout au long de l'année 2010, un dossier spécial au jubilé des 50 ans d'indépendance, a rencontré Philippe Hugon, chercheur à Iris, pour analyser la situation économique des Etats africains au lendemain des indépendances. Cette interview est riche dans son contenu et bien fournie intellectuellement. Nous vous la proposons en intégralité.

« L'Afrique reste trop dépendante de ses matières premières »

Le décollage espéré des économies africaines n'a pas eu lieu, estime l'économiste Philippe Hugon mais tous les espoirs restent permis si les États décident de répondre aux besoins de leurs populations en matière d'éducation et de santé et apprennent à gérer les richesses naturelles du pays.

RFI: Vous faites partie des optimistes ou des pessimistes quant au bilan économique de ces cinquante dernières années en Afrique subsaharienne ?
Philippe Hugon: J’essaie d’être plutôt réaliste. Il y a évidemment des éléments très négatifs que l’on peut noter. On connait bien les maux de l’Afrique. On sait que les pays africains sont plutôt les mauvais élèves de la classe internationale.
On sait qu’il n’y a pas eu suffisamment de croissance économique importante et que le revenu par tête est à peu près le même qu’il était en moyenne lors des indépendances. On sait les maux dont souffre l’Afrique en termes de malnutrition, de conflits, etc… Donc, c’est vrai qu’il y a beaucoup d’éléments qui conduisent à être pessimiste et à considérer que l’Afrique n’a pas su connaître un démarrage économique. Mais en même temps, il y a énormément d’éléments qui font que l’Afrique aujourd’hui n’a pratiquement rien à voir ou très peu avoir, avec ce qu’elle était au moment des indépendances.

RFI: Qu’est-ce qui diffère plus particulièrement avec cette période des indépendances ?
P.H: D’une part, évidemment, il y a l’aspect démographique, le fait que les populations étaient majoritairement rurales, alors qu’elles sont maintenant presqu’à moitié urbanisées. Le fait qu’au moment des indépendances, il y avait très peu de scolarisation et encore moins de formations universitaires, et qu’aujourd’hui, l’Afrique produit des élites, qui, hélas parfois, effectivement, quittent le continent. Mais elle a un niveau de scolarisation sans comparaison. En Afrique, maintenant, les pays ont quand même leur souveraineté. Ils participent à la construction de l’architecture internationale, ils font parfois entendre leurs voix. Et puis, l’Afrique s’est mondialisée. Au moment des indépendances, par définition, les pays africains étaient encore très dépendants de leurs ex-métropoles et la décolonisation s’est traduite par une mondialisation, c'est-à-dire par une diversification des partenaires. Alors, d’une part, une européanisation évidemment des relations puisque l’Europe a pris en partie le relais des anciennes puissances coloniales. Mais aujourd’hui, on voit bien que l’Afrique est très diversifiée, avec ses partenaires asiatiques, avec les pays émergents, avec les pays pétroliers du monde arabe ou de l’Iran, avec ses liens avec le Brésil et donc, on a quand même une très grande différence par rapport au moment des indépendances.

RFI: Vous parliez notamment de la Chine. Depuis quelques années, on assiste à un regain d’intérêt pour les matières premières du continent africain. Finalement, on reste dans la configuration d’une Afrique dépendante de ses exportations de matières premières et de monocultures...
P.H: C’est vrai que pour l’instant, il n’y a pas de changement de la structure des exportations africaines. L’Afrique reste essentiellement exportatrice de matières premières du sous-sol, de produits miniers, hydrocarbures et de produits du sol. Donc, on peut considérer que l’on est dans des relations post-coloniales, qui conduisent à une mauvaise spécialisation internationale. C’est tout à fait exact. Ceci étant, le commerce avec la Chine a quand même décuplé depuis le début du XXIème siècle ; il atteint aujourd’hui environ cent milliards de dollars. Il y a énormément de projets d’investissement, notamment d’infrastructures. La diversification des partenaires a des inconvénients mais en même temps, donne plus de marge de manœuvre aux Etats et l’on peut dire qu’il faut voir ça dans le long terme. Ce qu’il faut voir, c’est si ces relations se diversifient et s’intensifient, il n’y aura pas quand même une remontée en gammes de produits, d’investissements notamment chinois, ou indiens, ou brésiliens, ou de pays du Golfe, qui vont conduire à ce que l’Afrique se spécialise dans des produits à plus haute valeur ajoutée. Mais c’est vrai que pour l’instant, on reste encore dans une spécialisation où l’Afrique exporte des produits primaires, dont les prix sont très instables et dont la valeur ajoutée est faible et elle importe des produits manufacturés ou des projets de BTP.

RFI: Est-ce que l’enjeu, aujourd’hui, n’est pas d’éviter les erreurs du passé, en utilisant cette fois correctement ces revenus importants des matières premières, pour passer à l’étape suivante ?

P.H: On pourrait prendre comme exemple le Botswana, qui a relativement bien géré sa rente de diamants. On peut prendre évidemment l’Ile Maurice, qui a très bien géré sa rente sucrière. La question effectivement, c’est que ces ressources naturelles minières ou pétrolières ne conduisent pas à ce qu’on appelle une malédiction des ressources naturelles, c'est-à-dire, ne favorisent pas simplement des régimes rentiers et que, par contre, ils rapportent des devises, apportent des recettes publiques, qui puissent financer le développement, c'est-à-dire à la fois, l’éducation, la santé, les projets de PME, les projets industriels. Un des enjeux majeurs par exemple, serait que le budget des Etats soit déconnecté des recettes des ressources primaires pour qu’elles ne subissent pas les effets des instabilités de ces ressources naturelles. L’autre enjeu, c’est la transparence. Il y a plein d’enjeux derrière les ressources naturelles.

RFI: Est-ce que vous feriez une différence entre les anciennes colonies françaises et les autres, en matière de réussite économique ?

P.H: C’est un peu difficile à dire, parce que d’abord, les pays n’étaient pas exactement identiques. On va dire que les colonies britanniques étaient plutôt de grandes dimensions, qu’elles avaient déjà un certain niveau commercial et économique. Il y a d’autres éléments qui vont jouer. C’est, notamment, le fait que beaucoup de colonies françaises vont rester membres de la zone franc, ce qui aura à la fois des effets de stabilisation ; par exemple, il y a aura beaucoup moins d’inflation ou de déficits budgétaires dans ces pays, mais en même temps, il y a des problèmes qui se posent, notamment, de surévaluation notamment du taux de change, lorsque ces monnaies sont rattachées à l’euro et que l’euro est lui-même à un niveau élevé par rapport au dollar. Différents facteurs vont jouer. Les plus grandes réussites économiques durables se trouvent dans les pays anglophones. Je pense à des pays, comme le Ghana, et le Kenya qui a été longtemps un très bon élève. Par contre, il y a eu de grandes réussites historiquement, en Côte d’Ivoire, avant que ce pays, hélas, tombe dans la conflictualité et dans la stagnation économique. Les anciennes colonies britanniques s'en sortent mieux, mais je dirais que c’est quand même en fonction de la conjoncture. On ne peut pas dire qu’il est de différentiation très forte in fine entre les deux types de colonisation.

RFI: Est-ce que vous êtes de ceux qui pensent l’aide au développement depuis cinquante ans a échoué ?

P.H.: L’aide a été souvent mal utilisée. D’abord, toute une partie de l’aide n’est pas rentrée directement dans les pays, parce qu’il y a, disons, un mode de calcul de l’aide qui fait que l’aide, c’est pas uniquement ce qui rentre financièrement dans les pays. Et d’autre part, c’est vrai que l’aide a eu souvent des effets pervers. Elle a plutôt souvent financé des projets à forte intensité «capitalistique», des projets comme des hôpitaux modernes alors que le pays n’a pas de réseau d’électricité ou n’a pas le personnel pour entretenir ces hôpitaux, etc. Il y a du gaspillage. Ceci étant, moi je suis plutôt un partisan de l’aide avec évidemment des conditionnalités en termes de résultats. Je pense que les bailleurs de fonds, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, doivent apporter des fonds dont les pays à très forte croissance démographique qui ont des besoins, pour l'éducation, la santé et dans différents domaines très importants, mais il faut évidemment que ces aides soient accompagnées de conditionnalité de résultats.
Ce n’est pas aux bailleurs de fonds de dire quelles doivent être les bonnes politiques économiques mais par contre, s’ils apportent des fonds sous forme de prêts ou de dons, ils peuvent savoir à quoi ont servi effectivement – lorsque ces fonds sont allés dans des budget – quels sont les résultats en terme d’éducation, de santé ou d’objectifs qui sont définis, comme les objectifs du millénaire du développement. Derrière la critique de l’aide, il faut être très, très lucide. C’est vrai que l’aide a souvent eu des effets très pervers mais l’Afrique a encore besoin d’aide actuellement. Elle a besoin de garanties en tout cas de fonds publics et je dirais que la critique de l’aide émane souvent d'un mouvement que l’on nomme «quartiériste» avec le slogan «il vaut mieux développer la Corrèze ou la Lozère que le Zambèze», ou vient de mouvements très proches des milieux financiers privés qui disent qu’il vaut mieux passer par le marché. Le gros problème, c’est que l’Afrique n’a pas les garanties pour accéder aux conditions de marché pour les flux financiers.

RFI : À propos de l'aide, le président Abdoulaye Wade a fait une déclaration assez fracassante, en disant que la Chine «c’est beaucoup mieux, parce qu’elle débloque beaucoup plus vite des fonds». Les pays africains ne vont-ils pas se tourner vers d’autres partenaires qui sont beaucoup moins regardants sur les conditionnalités et donc peut-être revenir à la situation d’il y a trente ans ?

P.H : Oui, le risque existe tout à fait, notamment pour les bailleurs de fonds occidentaux. Cependant, je crois qu’il faut voir d’une part, qu’on peut fortement améliorer la vitesse de déblocage des fonds, notamment de l’Union européenne. D’autre part, il faut aussi être très vigilant sur la nature de l’aide des pays émergents et notamment de la Chine, parce que c’est une aide qui, actuellement, se fait essentiellement sous forme d’accord de troc. Il n’y a pas de conditionnalités, sauf une reconnaissance de Taïwan. Un des grands risques de l’aide chinoise est qu’elle finance des projets d’infrastructures, moyennant accès aux ressources minières ou aux ressources pétrolières, mais que par contre, elles n’assurent pas l’entretien (ce qu’on appelle les charges récurrentes de ces infrastructures) et que les pays africains se retrouvent fortement endettés. Souvent, ce sont des prêts à taux zéro mais il y aura quand même le capital à rembourser

RFI : Si aide il y a, si investissement il y a, dans le secteur primaire, dans les mines et dans d’autres secteurs, notamment agricoles, il reste que la formation et la santé, restent des problèmes cruciaux. Ce continent peut-il se développer si la population n’est pas suffisamment formée et ne peut pas se soigner ?

P.H.: C’est sûr que c’est une condition absolument nécessaire. Il n’y a pas de doute là-dessus. Dans le domaine de la scolarisation, au moins d’un point de vue quantitatif, il y a eu des progrès jusqu’à la période 2007-2008. Toutefois, il reste le problème de la qualité de l’enseignement. Le niveau des universités est souvent très faible ; d’ailleurs, de ce point de vue là, on peut dire que les universités des pays anglophones marchent mieux que les universités des pays francophones. Il y a beaucoup d’années blanches. Effectivement, l'éducation est un enjeu déterminant. Et on retrouve le même problème dans le domaine de la santé. Il est certain que les conditions pour qu’il y ait un développement durable ne sont pas remplies tant que les populations sont atteintes fortement de paludisme, que les enfants meurent de diarrhée, etc. Ce sont des priorités absolues mais ces priorités supposent des financements qui sont des financements publics.

RFI:Les optimistes disent que d’ici 20 ans le continent africain jouera un rôle clé dans l’économie mondiale. Qu'en pensez-vous

P.H.: L’Afrique dispose d’un capital humain important mais on va avoir une population, qui de 1 milliard actuellement, va passer à 2 milliards en 2050. Cette projection change très fortement la donne. L’Afrique est une réserve absolument stratégique de diversification des ressources naturelles, notamment minières et pétrolières et donc, de ce point de vue là, elle a des atouts très importants. L’Afrique a également un capital, ce que l’on appelle un capital naturel, en termes forestier, en termes de biodiversité, qui peut être tout à fait valorisé. Le continent est maintenant connecté à des réseaux internationaux de téléphone, d’internet, et donc, si ces élites sont véritablement présentes – si elles ne s'expatrient pas pour mettre leurs compétences au profit d'autres pays – si on a des régimes qui sont suffisamment bien gérés et qui permettent d’utiliser au mieux les compétences, je crois qu’il n’y a pas de doute à se faire sur l’avenir de l’Afrique, dans les vingt ans ou trente ans qui viennent. Mais ça suppose un certain nombre de conditions, dont on n’est pas sûr qu’elles se réalisent.


Par Christophe Champin

Source: www.rfi.fr http://www.rfi.fr/contenu/20091231-philippe-hugon-lafrique-reste-trop-dependante-matieres-premieres

Article publié le : jeudi 31 décembre 2009 - Dernière modification le : vendredi 01 janvier 2010

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